Les écrivains de talents se bousculent pas sur le Net. C’est dommage parce qu’ils y toucheraient du doigt une réalité publique plus importante : la réalité des hommes qui ont quelque chose à dire. Ces hommes-là, ne parlent guère et n’ont pas vraiment besoin de livres pour penser ce qu’ils pensent. En général, ils lisent pas, ni Marx ni Shakespeare et encore moins Balzac. Ce qui les rebute, c’est que l’écriture reste irrémédiablement une activité féminine. Mais qu’ils tombent sur un écrivain comme Céline qui les ensorcelle en les saoulant de ce qu’ils savent d’apprendre, expression un peu niaise pour dire que la vérité qu’ils ont acceptée les propage au devant de ce qu’ils lisent, ils reconnaissent plus qu’ils n’apprennent ce qu’ils savaient déjà par principe. L’hypothèse de Dieu n’a rien à voir avec les hypothèses de l’homme.
Le cas du Céline d’après le Voyage est une exploration de cette vérité par petites touches. Des touches, c’est d’ailleurs son nom de famille à Céline, Destouches. Et à force de toucher, d’attoucher, d’énerver, de titiller la bête, quand il ferre, il attrape le poisson ! c’est une science halieutique ou herméneutique si on veut mais surtout apocalyptique. Bon vais pas vous le prouver, disons que je suis De Gaulle et vous me suivez les yeux fermés, mon immense silhouette vous cache la vue de toute façon. Le coup du « discours aux asticots », voilà ce qui sauve Céline aux yeux d’un homme et bon nombre de femme sont sensible à cette parole pas si impie qu’il y parait. Elles ne pensent d’ailleurs qu’à ça, les asticots, la pourriture qui guette leur beauté, réelle ou imaginaire, et elles ont naturellement une imagination très nourrie en horreur de ces petites bestioles rampantes et dévorantes à l’intérieur du cadavre, beurk ! La cathédrale de leur sexe fait écho aux paroles les plus folles et reflète les images les plus abominables ! Or cette imagination les protège de la peur qui ne peut pas se voir car fondée sur ce qui ne se voit pas : l’Esprit. Et pas d’image de cet esprit-là. Tu vois ou tu vois pas ce que je dis ? la parole est souillée, cassez-vous pas la tête. Céline le dit mais comme il le fait par la parole, c’est délicat et les bottes ferrées ou à talons hauts marchent à côté quand c’est pas carrément dessus, les grosses pompes sentimentales des adorateurs d’arabesques et de petite musiques.
Aujourd’hui un type qui n’a vraiment que la parole pour être charitable, alors c’est sur le Nête, du latin neste le nid - et pas le filet ni la toile - qu’il doit écrire. C’est pas innocent, le Céline de Gallimard dit toute l’ordure du bonhomme éditeur, le roi du monde littéraire français, alors, je signe, moi Fodio avec Marc Edouard Nabe, la mort du roi de l’édition papier et vive le roi de l’édition du nid (forcément gratuite, l’art se vend pas comme une pute ou un savon, juste nourrir la bête et encore, pas trop richement), le nid royal où se doit de couver la vérité pour un jour éclore au grand jour et reprendre son envol vers la prophétie. Et que toute cette histoire ait un putain de sens, nom de dieu. Bonne Mère on dirait de Gaulle tout craché. Est-ce que c’est être politique que de vouloir se libérer de ses chaines par le biais de son art ? Responsable de ses paroles à partir d’où ? de l’imprimerie ? de la diffusion sur le ouaibe ? La manie juridique ne doit pas entacher la vérité, et le prophète dit la vérité, l’écrivain historique ne peut pas composer avec quelque pouvoir que ce soit, s’il ne le voit pas il est condamné à enfoncer des portes ouvertes pour l’éternité dans la fosse commune du temps, à finir comme Judas la corde de la parole autour du cou.
Un écrivain russe l’autre jour, j’ose pas trop le citer parce que c’est le pote du pote de mon pote mais comme c’est une star et qu’on le compare à Tolstoï, donc à la conf de presse à la bibliothèque du parlement( !) où m’a amené mon pote, le type explique qu’il a choisit de parler de la Russie actuelle par le biais d’une transposition historique sous la période du Tsar-je-sais-plus-lequel-mais-c’est-important, (après vérif, Yvan le Terrible) parce que personne aujourd’hui en Russie ne peut le faire selon lui. Qu’il veuille pas quitter son pays, c’est déjà un signe, pourtant la France est un pays très recherché, au top de je sais plus quel classement pour bobo, depuis cinq années consécutives même, la pure vérité. Sorokine, il publie ses traductions françaises chez Gallimard, mais bon, y avait aussi cet ukrainien (pas chez Gallimard mais tout comme) qui l’avait invité, le vrai pote de fac de mon pote, que j’ai lu ses romans, Kourkov, le pote de mon pote, une star locale aussi…bon on va y arriver. Bref, on dirait que je me suis levé et que j’ai demandé goguenard (ma tenue civile), vous savez que vous pouvez dire merde à votre gorille du kgb (son éditeur une sorte de King Kong avec des petits yeux de crocodile à sa droite) qui vous force à faire cette ridicule parade de capitaliste pour se remplir les poches sur votre bête. Si vous voulez $être libre$ (entre dollars ! je l’ai fait avec les mains comme on fait des parenthèses, je sais pas, ça m’a pris comme ça ! oulala, je me faisais un peu peur à moi-même pour dire vrai, mais j’ai continué sur ma lancée avec mon pote Sergueï qui traduisait en simultané au micro vu que moi j’ai plus besoin de micro depuis longtemps avec ma voix du tonnerre de dieu, donc pris dans le feu de la parole et mon idée à la con, où j’en étais ? oui, donc), vous libérer de l’oppresseur politique Vladimir Vladimirovitch Poutine et faire une vraie révolution, commencez donc par lui demander des comptes sur le travail de Karl Marx qu’il a cyniquement rejeté après en avoir hérité le cadavre idéologique. La perspicacité du bonhomme Marx ainsi passée à la trappe, on peut se servir de lui comme un repoussoir. Mais repousser la vérité Monsieur Sorokine, ça ne peut pas être le travail d’un artiste peintre raté. (nous avait fait cet aveu un peu avant, tout penaudement, en omettant « raté » évidement) je me serais pas dégonflé, au contraire comme la grenouille je me serais embaudruché, allez donc faire un tour sur le ouaibe, au club Misogyn Paris et vous verrez ce que peut dire de la vérité un autre peintre raté. Vous dira qu’un peintre qui réussit, dans le ciné ou la littérature, du diable s’il est perdu pour la vérité. Après je me rappelle plus trop, j’ai sorti mon tel en faisant semblant d’apprendre une terrible nouvelle et je suis parti en laissant mon pote traduire la dernière phrase : Pour un écrivain sérieux aujourd’hui être peintre est un atout majeur, voyez-vous ? là que j’ai sorti mon tel en écoutant bien mon pote qui allait dire « voyez-vous », que j’ai répété avec force gesticulation en montrant mes yeux et mon regard qui se promenait sur les personnes qui me regardait, gouailleurs pour les techniciens et sidérés pour le reste, j’ai une petite expérience de la scène alors j’improvise et bon je lâche enfin la bombe : l’écrivain, Mr Sorokine, doit-il choisir entre l’apocalypse et la mort ou se cacher dans les poubelles de l’histoire au risque de se vendre au dragon qu’il prétends combattre ? Et le temps que Sergueï Anatolievich traduise les derniers mots, j’étais à la porte d’où j’ai lancé d’une voix de stentor, Serge, prends des notes sur la réponse, ça m’intéresse, puis j’ai tiré ma révérence sous les huées ou les bravos, ou le silence, je sais plus. Le sketch ! Suis parti en grande conversation avec moi-même au tel, je faisais semblant que ma mère venait de mourir, et en plus c’était la parfaite vérité.
Bon, ça s’est pas passé comme ça du tout parce j’ai eu les jetons de ma mère devant le fantastique éditeur simiesque qui causait plus fort et plus souvent que les deux écrivains apeurés à côté de lui. J’ai eu pitié, faut bien dire. Quant à Kourkhov, pas prétentieux, il m’a avoué le coup de l’actor studio, il était lui-même devenu le Président, son personnage, comme Flaubert et sa Bovary que je lui avais suggéré. Bon s’est rattrapé en me lâchant que son dernier roman prenait de la distance avec le personnage. C’est déjà ça, mais j’ai peur que ça devienne psychologique en diable son affaire. J’ai rien dit vu qu’on était pas seuls, un couillon venait chercher son autographe, business et fétichisme d’abord, ok ciao.
On est allé boire des bières, dans un café littéraire de la rue Pouchkine, pour la nostalgie, avec mon pote, et la bière nous a réchauffé l’amitié. Un type qui se dit perdu pour tout avec une telle candeur on lui pardonne bien des lâchetés. Il aurait pourtant pas fallu beaucoup me pousser sur ce coup-là mais je veux croire que c’est la main de dieu qui m’a retenu, un peu comme celle du diable a poussé celle de Maradona.
Allez qu’on envoie l’Apocalypse et qu’on en termine avec ces jérémiades ! Poutine et Ianoukovitch sont deux enculés de première et c’est un scoop pour personne. Si ces mecs-là devaient faire tirer une balle à tous ceux qui le disent, ça se saurait. Un peu plus enculés sont les peuples qui les ont élus. Mais eux ont-ils vraiment le choix ? ça reste à déterminer au coup par coup, sans méthode et petit à petit, comme l’oiseau qui fait son nid.
L’Apocalypse ou la mort ! Sergueï, que j’ai fait à mon pote, t’es plus perdu pour tout le monde maintenant, je suis là, moi. Il a rigolé puis il a plongé dans le trou noir immense de l’escalier du métro avant d’aller se réfugier dans celui plus froid encore, sinon plus grand, de sa moitié. Tel un Lucky Luke hilare, j’ai enfourché mon canasson qui n’a pas manqué de me faire remarquer qu’il était temps de lui refaire une couleur. Et pourquoi pas en blanc ? que je lui ai fait. Il en a henni de plaisir malgré son cœur défaillant que j’attends toujours l’argent pour le faire opérer comme dans le bouquin de Kourkov, Le Dernier Amour du Président, etc.
Bon, maintenant je peux attendre tranquillement la balle qui m’enverra au Paradis. Je serais sans doute responsable, mais pas coupable de ma mort, comme les chrétiens des premiers temps romains, au contraire des chrétiens assassins chefs d’Etats ou de gouvernements sus-cités, et tous les autres quels qu’ils soient, vivants ou mort, et tous les publicistes qui les soutiennent, journalistes, avocats, écrivains compris, sur le Nête ou pas et qui osent, toute honte bue, se dire responsable-mais-pas-coupable. Pas toujours responsables, soit, savent pas vraiment ce qu’ils font, mais indéniablement coupables, ces suppôts, à se prendre pour dieu, témoins les signes du temps, effacés sur leurs visages poudrés pour la caméra, et qui se voient toujours sans délai aux yeux du prophète.
22:15 Dehors les chiens, les enchanteurs, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime et pratique le mensonge!
22:17 (…) Et que celui qui a soif vienne; que celui qui veut, prenne de l'eau de la vie, gratuitement.
Apocalypse de saint Jean.