D’après François Bacon Verulam
Une fable très ingénieuse dit que l’Aurore aima Tithon et que souhaitant vivre éternellement avec lui, elle supplia Jupiter d’accorder à son amant le don de l’immortalité ; or, par une étourderie assez ordinaire chez une femme, elle oublia de demander aussi qu’il fût exempt de vieillir. En conséquence Tithon, devenu immortel, mais vieillissant de plus en plus et accablé des maux de la vieillesse qui allaient toujours grandissant (la mort qui lui était refusée ne pouvant y mettre fin), devint le plus malheureux des hommes. Heureusement pour lui, Jupiter le prit en pitié et le changea en cigale.
Cette fable est un emblème ingénieux de la volupté et de ses inconvénients. En effet, la volupté, à ses débuts, qu’on peut regarder comme son aurore, est si agréable aux hommes qu’ils souhaiteraient que ces jouissances fussent éternelles, oubliant trop vite que tous ces plaisirs doivent finir par l’ennui et le dégoût, qui est comme la vieillesse de la volupté. En sorte qu’à la fin, les hommes n’étant plus capables de jouissances effectives, mais n’ayant perdu que le pouvoir de jouir, sans en avoir perdu le désir et la volonté, aiment en général à parler des plaisirs qu’ils ont goûtés dans la force de l’âge, se contentant alors de simples discours sur ce sujet et de ces jouissances idéales. C’est ce qu’on observe surtout chez les hommes très portés sur le sexe et chez les guerriers de toute sorte. Les premiers dans leur vieillesse aiment les discours obscènes, et les derniers, au même âge, se plaisent à raconter leurs prouesses ; en quoi les uns comme les autres ressemblent aux cigales dont toute la force est dans la voix !