Me suis trouvé dernièrement invité à diner chez des amis en présence de la grand-mère alzheimerisé. Invité que j’étais pour la première fois, un peu timide, j’ai pas osé lui parler à la babouchka, mais j’ai eu envie de la toucher, de lui prendre la main. Me suis retenu en me justifiant intérieurement. J’aurais donné l’impression de caresser un chien. On aurait pu mal le prendre. Elle était devant la télé, fascinée, elle m’a pas regardé un seul instant. A table on a fini par l’oublier, puis elle a disparue, emmenée par sa fille dans sa chambre.
Quand on passe sa vie à essayer d’oublier la vérité, il est fort logique qu’elle finisse par nous oublier. L’information n’a rien à voir avec la vérité. On peut être informé de tout et ne rien savoir. C’est le cas de bon nombre de gens pour qui la télé a constitué le seul contact avec le monde ou presque. Ils meurent saturés, d’informations, de données, de mémoire.
Viennent ensuite tous ceux qui s’imaginent que la mémoire est le principe de l’intelligence, ceux-là aussi meurent idiots. C’est comme si on leur rappelait qu’ils ont été stupide toute leur vie. C’est désormais l’esprit qui déménage en premier, le cœur tient bon. Sont-ils punis de l’avoir économisé ce cœur ! une vraie leçon pour les autres. La gourmandise est un péché et à se gaver d’informations on finit par oublier d’éteindre la télé et j’ose même pas imaginer le nombre de vieux qui doivent clamser en regardant des reportages sur Alzheimer.
Je regrette quand même de pas lui avoir pris la main à ma babouchka. Je me console assez lâchement en me disant qu’en supposant que par miracle ça lui ait rendu la mémoire, mes amis m’auraient peut-être pas pardonné. Dans les familles, il y a bien souvent pas mal de choses qu’on préfère oublier.
Commentaires
Ont du mal à vivre au présent toutes les sortes d'opprimés. Les choses virtuelles - autrement dit la religion -, sont d'autant plus nécessaires que l'état d'oppression est grand.
Rien n'opprime plus un vieillard que l'approche de sa mort, cause la plus certaine de sa monomanie ou de sa focalisation sur des détails.
- J'ai connu comme ça un vieillard, qui à quelques heures de passer l'arme à gauche, réclamait de passer commandeur dans l'ordre de la légion d'honneur, vu qu'il n'était qu'au grade inférieur. C'était le besoin le plus vital de sa pauvre cervelle.
C'est pourquoi Homère et Shakespeare ont fait du guerrier Achille un imbécile, lui qui, si jeune et vaillant, ne songe pourtant qu'à la gloire, futur le plus illusoire. Il est tué par une flèche (le temps), plantée dans le talon, par où le tenait sa mère, et l'appui de l'homme le plus enfoncé dans la terre.
- Serins et pigeons chantent le présent, ils font mieux que toute la philosophie et la médecine modernes.
En déjeunant dans la cantine en travail, est devenue le témoin de la conversation de deux femmes âgées (le chef comptable et son assistant). La conversation était sur leurs favoris domestiques – les chats et consistait en discussion du menu félin, le confort et les caprices félins.
Hier il y avait un début du carême et j'ai rencontré encore ces deux femmes dans la cantine. Тrop activement ils s'intéressaient s'il y a un beurre dans la bouillie? Sur ma question: «et si la bouillie est avec le beurre, c'est un péché de la manger ?», - ils ont répondu par confusion.
Vous comprenez, chère Véritable, la difficulté, que souligne Lapinos, de vivre au présent sans être un animal, sans se perdre dans des détails insignifiants. C'est le temps qui tue Achille, par où est son point faible, au talon, cette partie de lui la plus attachée à la terre/mère. Achille ne vit au présent que pour tuer ses semblables dans l'espoir d'une gloire hypothétique. Un peu comme si vous encouragiez votre fils à faire une école de commerce pour devenir riche, puisque la guerre est désormais économique.