Le droit, inventé pour protéger les sociétés, est établi sur l’égalité. La société, qui n’est qu’un ensemble de faits, est basée sur l’inégalité. Il existe donc un désaccord entre le fait et le droit. La société doit-elle marcher réprimée ou favorisée par la loi ? En d’autres termes, la loi doit-elle s’opposer au mouvement intérieur social pour maintenir la société, ou doit-elle être faite d’après ce mouvement pour la conduire ? Depuis l’existence des sociétés, aucun législateur n’a osé prendre sur lui de décider cette question. Tous les législateurs se sont contentés d’analyser les faits, d’indiquer ceux blâmables ou criminels, et d’y attacher des punitions ou des récompenses. Telle est la Loi humaine : elle n’a ni les moyens de prévenir les fautes, ni les moyens d’en éviter le retour chez ceux qu’elle a punis. La philanthropie est une sublime erreur, elle tourmente inutilement le corps, elle ne produit pas le baume qui guérit l’âme. Le philanthrope fait des projets, a des idées, en confie l’exécution à l’homme, au silence, au travail, à des consignes, à des choses muettes et sans puissance.
Le christianisme ignore ces imperfections, car il a étendu la vie au-delà de ce monde. En nous considérant tous comme déchus et dans un état de dégradation, il a ouvert un inépuisable trésor d’indulgence ; nous sommes tous plus ou moins avancés vers notre entière régénération, personne n’est infaillible, le chrétien s’attend aux fautes et même aux crimes. Là où la société voit un criminel à retrancher de son sein, le chrétien voit une âme à sauver. Bien plus !... inspirée de dieu qu’il étudie et contemple, il admet l’inégalité des forces, étudie la disproportion des fardeaux. S’il vous trouve inégaux de cœur, de corps, d’esprit, d’aptitude, de valeur, il vous rend tous égaux par le repentir. Là l’égalité n’est plus un vain mot, car nous pouvons être, nous sommes tous égaux par les sentiments. Depuis le fétichisme informe des sauvages jusqu’aux gracieuses intentions de la Grèce, jusqu’aux profondes et ingénieuses doctrines de l’Égypte et des Indes, traduites par des cultes riants ou terribles, il est une conviction dans l’homme, celle de sa chute, de son péché, d’où vient partout l’idée des sacrifices et du rachat. La mort du Rédempteur, qui a racheté tout le genre humain, est l’image de ce que nous devons faire pour nous-mêmes : rachetons nos fautes ! rachetons nos erreurs ! rachetons nos crimes ! Tout est rachetable, le christianisme est dans cette parole ; de là ses adorables sacrements qui aident au triomphe de la grâce et soutiennent le pécheur. Pleurer, gémir comme la Madeleine dans le désert, n’est que le commencement, agir est la fin. Les monastères pleuraient et agissaient, ils priaient et civilisaient, ils ont été les moyens actifs du christianisme. Ils ont bâti, planté, cultivé l’Europe, tout en sauvant le trésor de nos connaissances et celui de la justice humaine, de la politique et des arts. On reconnaîtra toujours en Europe la place de ces centres radieux. Si vous croyez que dieu ait à vous juger, le chrétien vous dit que tout peut se racheter par les bonnes œuvres du repentir. Les grandes mains de dieu pèsent à la fois le mal qui fut fait, et le trésor des bienfaits accomplis. Soyez à vous seul le temple, vous pouvez en recommencer les miracles.
Vos prières doivent être des travaux. De votre travail doit découler le bonheur de ceux au-dessus desquels vous ont mis votre fortune, votre esprit, tout, jusqu’à ce talent naturel, image de votre situation sociale.