Si j'm'écouterais je serais malade. Une façon comme une autre de retomber en enfance. Les enfants adorent le conditionnel, ils en mettent partout. C'est le mode de la virtualité. Plus accessible que le subjonctif. De fait je viens de me taper sur dvd un film au conditionnel. L'histoire d'un type qui chercherait un autre type qui serait lui-même. Un vieux corbeau pourtant ce Corneau. Avec une voix à la jean Pierre Marielle et une gueule de John Wayne (je l'ai côtoyé un peu). Mais son film, oh misère. Les dialogues sont tellement profonds qu'on entend pas quand ça touche le fond. Ça disparait, avalé, oublié. Ça passe, ça fait du bruit dans les oreilles, et on attend, savoir... et non, y a plus rien. Qu'un autre bruit, toujours différent selon la théorie du fleuve qui charrie jamais deux fois la même eau... glou glou. Voilà, un gargouillis, c'est à ça que ça fait penser. Au prix du mètre de pelloche ! Le cinéma, quelle couillonnade quand il se veut intelligent. Et là, y a pas cinéma et cinéma, y en a qu'un. C'est La façon, La manière, La technique ! Un peu ce que le jazz est à la musique, le cinéma l'est à tous les autres arts. Ce serait juste une manière de traiter la peinture, la musique, le théâtre surtout, la littérature, un peu. C'est d'ailleurs ce qu'il traite le plus mal. L'archi pour le montage, et que je te coupe, te fondu, te remodèle, retour, avance, en avant, en arrière, un vrai corbeau de l'Arche de Noé, sculpture, suture, triture, et le monument filmique est là, arrogant comme une érection matinale !
Un vrai déluge de cliché. « Méfiez-vous des morceaux choisis » dit un des personnages, photographe de métier. Elle a fait un cliché d'un enfant souriant et elle explique que sur un autre cliché pris d'un peu plus loin on voit que l'enfant est train de se faire fusiller. On apprend qu'il est mort une seconde après la photo. Tragique réflexion que ce méfiez-vous des morceaux choisis. Mais stupide au cinéma qui n'est que morceaux choisis, y compris pour la musique qui a failli m'endormir plusieurs fois. Effet de miroir, mise en abime, quand le cinéma parle de cinéma, c'est à mourir d'ennui. Et l'enfant bien sûr qui sert à le justifier, bien pratique les enfants pour ça. Alors que le cinéma lobotomise des milliers d'enfants chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque jour, 365 jours par ans depuis quelques générations.
Impossible d'imaginer la vie sans cinéma, et impossible de vivre sa vie sans la cinématiser. L'instrument du diable par excellence.
L'autre jour à l'institut, une charmante jeune femme m'interloque par sa beauté slave et ses yeux d'émeraude. Je m'arrange pour qu'elle m'interpelle en feuilletant, non loin, une revue d'histoire. Elle cherche un film hélas. Or les films de l'institut, je les ai tous vu. Sur une île j'en emporterais qu'un, au hasard : ils se valent tous. Je lui ai quand même conseillé un drame, mais chose bête, je n'ai pas trouvé d'autre mot que thriller. Un truc qui pulse, je crois même que j'ai dit ! misère, on peut pas dire que le cinéma m'inspire. Le film en question est pas le plus mauvais que j'ai vu. J'avais flairé un scénariste. Un type du genre mon pote B* qui fait des trucs pour des frappés de la télé... marrant mais leur nom m'échappe. B* est un scénariste né. Il sait raconter une histoire. Chez lui c'est un art, on le sent ; c'est un couillu. (ha oui le petit gros à tête d'hareng qui fait dredi, ça va me revenir par bribe je sens) (le faux journal ?)
Balzac était aussi un grand conteur dans le privé. Le point crucial dans une histoire c'est la chute. D'ailleurs ceux qui ne savent pas raconter ne se rappelle jamais la chute, c'est une preuve. Il faudrait même commencer par la fin selon les meilleurs, je veux dire quand on fabrique l'histoire. Partir de la fin et remonter le temps, jusqu'à son début, c'est-à-dire jusqu'au moment ou les faits n'auront plus rien à voir avec la chute. Ce qui fait qu'en théorie, si on accorde à Dieu le privilège d'être le créateur du monde, et donc de cette théorie-là (Théo =Dieu en grec) la chute lui est connue. Voir l'Apocalypse de Jean. C'est de là que vient ce chiffre dont il dit que c'est un nombre d'homme, trois fois six, trois fois le chiffre du temps, six, le chiffre de Chronos, saturne. Trois vies pour les corbeaux dit Shakespeare.
Dans une histoire c'est la maitrise du temps qui fait presque tout, du début jusqu'à la fin. Le temps en littérature chez un Proust n'est pas celui d'un Balzac, oh que non ! Le temps est pour certains hommes l'ennemi héréditaire. Pour Dieu, comme pour ceux qui le suivent, dont Balzac est un fleuron, le temps n'est qu'un outil, au service de l'histoire.
Du coup je sais plus si c'est ce film qui m'a mis malade ou mon état fébrile qui me l'a rendu indigeste. Le temps de me soigner et je l'aurai oublié.
Difficile de parler du temps sans aborder la mémoire.
Mais que je vous lâche le morceau, j'ai complètement oublié ce que je voulais dire...