« J'ai résumé L'Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. » Ainsi parlait Camus.
Or j'ai eu affaire l'autre jour avec un anglais francophile, qui dans la conversation m'a demandé si je connaissais la première phrase du bouquin de Camus (En vrai je la connais à cause de ma prof de français de troisième qui me l'avait fait étudier en me faisant un rentre dedans ignoble, une brune magnifique). Je lui ai donc dit sans réfléchir « Ma mère est morte » ou maman, je sais plus le terme exact. Il me dit oui mais après ? comme je me rappelle plus, il m'éclaire : « aujourd'hui ou hier » et a-t-il ajouté, c'est pour ça qu'il a été condamné à mort, pour ça et pas pour le meurtre de l'Arabe. Parce qu'il est jugé sacrilège de ne pas connaitre la date exacte de la mort de sa mère. Et bien, j'ai pensé que dans mon cas ça ne risquait pas de m'arriver vu que ma daronne est morte le 1er janvier de cette année au matin après qu'on lui a souhaité une bonne santé un nombre incalculable de fois.
Comme je répondais au notaire qui se charge de sa succession, je lui ai dit la même chose, et j'ai ajouté : je ne vous souhaite donc pas bonne réception de la présente mais j'ose espérer que vous saurez en tirerez les conséquences qui s'imposent.
Je crois qu'il m'a pris pour un fou, un étranger même, il me répond plus. Je m'en fous pas mal puisque je demande peau de balle et que j'ai tué personne, moi, à part ma mère, peut-être, mais ça, Dieu seul le sait.
Pour l'enterrement je risquais pas d'y pleurer, il n'y en a pas eu. Juste une mascarade de cendres répandues, ignoble ! Dieu merci, je me suis trouvé dans l'incapacité physique d'assister à ce rite néo païen.
Maintenant je me demande si je ne vais pas demander par testament à me faire bouffer par des lions moi, comme les premiers chrétiens, histoire de mettre un peu dans l'embarras ma famille de Sioux, et puisque l'argument qu'ils évoquent, ces psychopompes, de respecter la volonté du défunt, celle de ma mère de se faire cramer en l'occurrence, c'est le seul argument qu'ils ont eu à m'opposer et que la volonté d'un défunt c'est surtout sacré dans les films de cowboys. Ha les pompes funestes d'aujourd'hui, quel cinéma !
Je serais même pas surpris qu'il se soit trouvé un petit malin pour filmer la scène, après tout le cinéma peut bien avoir cette fonction dévolue autrefois au marbre, ça le rachèterait un peu. Un petit film de ses cendres sur un portable et une montagne de photos, c'est tout ce qui restera d'elle. Car on ne verra jamais ses dates nulle part, ni près de ses parents ni près de ces enfants. Ainsi soit-elle.