Lundi
Je lis sur internet que les régionales ukrainiennes ont été truquées fort habilement, et que tout le monde est content parmi les non-signataires du consensus de Washington (les banques prêteuses qui aiment les victoires électorales fortes, gage de remboursement et qui ne signent pas les consensus, ça va de soi) ; seuls les petits patrons s'offusquent de la réforme fiscale à laquelle le président a annoncé qu’il opposerait son véto.
Mardi
Distribution d'"Au Trou !?" aux quelques francophones que je croise. Comme dit, citant Allais à propos, le colonel que je croise à l’Institut français : "On reconnait un bon cru à une bonne cuite !" ; ça tombe bien, le champagne soviétique est encore à un prix abordable. Un pote ukrainien me reproche le papier sur Lénine, qu’il juge aussi coupable que Staline d’assassinats commandités. La statue de Lénine est toujours là, contrairement à celle de Staline qui n’est plus nulle part, bien que son fantôme rôde encore, et ça castagne souvent à la Rada (le parlement). Faut dire aussi que la boxe est le sport national ukrainien ; deux frères sont triples champions du monde ; l’habitude de faire péter le poing sur la table ? Paraît que le maire de Kiev, Léonid Cosmos (surnom dû à ses ambitions infinies), s’est brisé le poignet une fois, je le tiens d’une de ses secrétaires.
Mercredi
Pénible journée. Les femmes d’ici ont toutes ou presque une guêpe au plafond. C’était de notoriété publique dans tout l’empire soviétique, et je peux témoigner que ça n’a pas beaucoup changé. Je suis content d’avoir passé l’âge de la bagatelle. Celle qui m’a entraîné ici ne déroge pas à la règle. Sa folie m’avait semblée plus supportable que celle des femmes de l'Ouest. Aucune folie n’est supportable finalement, la nôtre moins que celle des autres. Je crois que sa folie me distrayait de la mienne.
Jeudi
Je reste au village. Je sors à peine pour nourrir la basse-cour, un tour ou deux à la cabane au fond du jardin ; surveille aussi Roméo et Juliette, mes deux chèvres.
Vendredi
Suis pas rentré. Me suis fait bêtement arrêter par les flics et... j’avais bu une bière. Comme c’est "tolérance zéro" (les Ukrainiens comme les Suédois ne savent pas boire), ils m’ont pris la bagnole après un alcotest à 0,33 g. Z’ont passé une heure à remplir de la paperasse pour justifier la somme d'argent qu’ils vont me voler. Le résultat, c’est que j’ai pas pu rentrer au bercail, mes poules et mes canards restés dehors. Les chiens ont bouffé la plus jolie poule, la blanche que j’aimais tant, avec son collier de perles noires. Saloperies de flics ! Saloperies de chiens ! Saloperies de voleurs ! (j’ai des chiens pour prévenir les voleurs), Et saloperie de basse-cour !
Samedi
Parti de bonne heure pour tenter de récupérer ma bagnole. C’est pas gagné. Levé à 5 heures pour prendre le bus à 6 pour prendre le train à 7 pour être au bureau de police à 9. Finalement, l’affaire m’aura coûté 800 us-dollars, une petite fortune que j’avais accumulée patiemment pour raccommoder la voiture, justement.
Dans l’antre du chef de la police, au milieu des kalachnikovs en plastique pleines de vodka, il y avait un portrait de Tchevtchenko, le poète ukrainien ; alcoolique aux dires de la police (prorusse), propagande russe selon mon pote Oleg (courageux, en l'occurrence).
Dimanche
Je prie pour tous ces pauvres policiers égarés par les puissances infernales. Roman Romanovitch, un pote sibérien de passage, me traite gentiment de Cвятой Подмастерье (apprenti saint).