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Dialogue avec "L’Antéchrist"

 

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Par TELEMAX paru dans AU TROU!? n° 17

 

« Le parallèle entre le système hitlérien et la Rome antique serait incomplet s'il se limitait aux méthodes de la politique extérieure. Il peut s'étendre au-delà ; il peut s'étendre à l'esprit des deux nations. Tout d'abord, la vertu propre de Rome était la même qui d'un certain point de vue met l'Allemagne du XXe siècle au-dessus des autres nations, à savoir l'ordre, la méthode, la discipline et l'endurance, l'obstination, la conscience apportées au travail. La supériorité des armes romaines était due avant tout à l'aptitude exceptionnelle des soldats romains aux travaux ennuyeux et pénibles (...).

Tant que la machine de l'Empire resta intacte, aucune fantaisie de la part des empereurs ne put en compromettre le fonctionnement efficace. Dans cet ordre de vertu, Rome a mérité les louanges ; mais elles doivent se borner là.

L'inhumanité était générale dans les esprits et dans les mœurs. Dans la littérature latine on trouve peu de paroles qui rendent un véritable son d'humanité, tandis qu'on en trouve tant dans Homère, Eschyle, Sophocle et les prosateurs grecs (...) » Simone Weil

 

Cette comparaison entre Rome et le régime nazi permet de caractériser Simone Weil comme l'anti-Nietzsche. Je cite le moraliste polonais à son tour :

« On peut faire une assimilation parfaite entre le chrétien et l'anarchiste : leur but, leur instinct, c'est seulement la destruction. (...) Le chrétien et l'anarchiste : tous deux décadents, tous deux incapables d'agir autrement qu'en dissolvant, en empoisonnant, en rabougrissant, en suçant le sang, tous deux avec l'instinct de haine à mort contre tout ce qui se tient debout, se dresse dans sa grandeur, a de la durée, promet de l'avenir à la vie... Le christianisme a été le vampire de l’empire romain. (...) » (L'Antéchrist, 1895)

 

Dans l'édition Flammarion que j'ai entre les mains, il faut dire que c'est une merveille d'hypocrisie la manière dont le traducteur et commentateur, Eric Blondel, contourne le problème de l'expression par Nietzsche des valeurs nationales-socialistes que sont le culte des héros, le millénarisme (séculier), la volonté de puissance, le goût de la « culture », vocable républicain pour désigner la religion, l'élitisme appuyé sur la médiocrité, sans oublier le darwinisme social. Qu’aurait pensé Nietzsche de tous les démocrates-chrétiens qui, aujourd’hui, lui tressent des couronnes de laurier, l’auguste Jean-Paul Marion en tête ? Peut-être aurait-il dû reconnaître son oubli de la contribution de l’hypocrisie et de l’opacité des comptes à la puissance des nations. Erreur qui fut celle-là même commise par le régime nazi. Le Capital se montre habile à se servir de la pensée réactionnaire comme d’une avant-garde. Y compris et surtout lors du processus de métamorphose révolutionnaire.

Le darwinisme permet non seulement de comprendre la compatibilité du national-socialisme avec la philosophie morale libérale, mais aussi le rôle de « loi naturelle » déterminant qu’il joue, le choc inévitable entre le régime de droit darwinien et la loi naturelle islamique, moins anthropologique.

Aucun édifice juridique ne peut se passer d'un principe légal mystique tel que le droit naturel, depuis l'Antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, afin de légitimer l’édifice et renforcer son caractère coercitif. Précisons pour mieux comprendre le rôle du darwinisme, que l'élaboration de la loi naturelle est vers quoi convergent tous les arts dits « anthropologiques », à commencer par la géométrie et l'algèbre.

En effet le caractère divin des éléments naturels, pleinement assumé dans les religions théocratiques antiques, bien qu'artificieux, ce que laisse entrevoir la sacralisation de la fonction publique, parée d'attributs mystiques, s'est effacé au cours des siècles à mesure que l'anthropologie a évolué vers un raffinement toujours plus grand (même les rituels maçonniques inspirés de l’animisme égyptien paraissent aujourd’hui ringards).

La loi naturelle darwinienne est adaptée à la nouvelle structure de droit identitaire ou existentialiste, notamment en Occident, ou peu d’individus sont consciemment disposés à se sacrifier au profit du corps social tout entier. Une certaine forme d’anarchie, insuffisante car le produit de l’abondance de biens en Occident, se situe à ce niveau, a contrario du sacrifice auquel l’esclave chinois est disposé de sa vie sur l’autel d’un futur abscons et desservi par un clergé dont les dents rayent le parquet.

Nietzsche est par conséquent fondé à dire les chrétiens ou les anarchistes, voire les juifs, insoumis à la puissance publique et à ses effets ; encore une fois, le judaïsme (non pas le sionisme), s’appuie sur le genre viril, et la société n’admet pas cette position, bien que ce soit la raison du moindre mépris de Nietzsche vis-à-vis des juifs, et que sa haine vise surtout le Christ et les anarchistes.

La remarque de Nietzsche n'a rien d'ailleurs d'extra-lucide en ce qui concerne le christianisme, puisqu'un lecteur moyen et honnête du Nouveau Testament pourra y lire partout le mépris exprimé par le Christ de toutes les institutions les plus temporelles, du mariage aux funérailles en passant par la fiscalité, jusqu’aux institutions politique et religieuse elles-mêmes. Mieux, on voit le Christ s'opposer brutalement à l'instinct de ses apôtres qui les ramène à la puissance : désir de gloire ou réaction de violence physique de Pierre, notamment. Sans doute une lecture un peu plus attentive est-elle requise pour comprendre que, de tous les « forfaits » commis par le Christ, l’acte le plus subversif ou antisocial est son mépris de la mort. Aucun système moral ne peut s’en passer, ni par conséquent de clergé d’aucune sorte, chargé de le faire respecter. Bien que la loi naturelle vise le meilleur équilibre politique ou social, elle recèle une pulsion macabre.

On fait croire à l’individu dans un tel système qu’il est un sujet de droit, à travers diverses manifestations mystiques, alors qu'il n'y a, en droit, que des objets. Ce tour de passe-passe est certainement le biais par où l'anthropologie et la puissance publique s'érodent le plus.

Si le diagnostic de Nietzsche est juste d'un christianisme opérant un renversement des effets de la puissance publique, en revanche l'étude psychologique du christianisme, qui ne l'est pas du tout, lui fait commettre un certain nombre d'erreurs d'appréciation. Ainsi il n'y a pas de volonté de destruction du monde à proprement parler dans le christianisme ou l'anarchie, mais l’effort pour s’en affranchir. Du moins en ce qui concerne l’anarchie, il faut être assez naïf comme Ben Laden pour ne pas voir que sa tactique est utopique, propre à servir autant au renforcement de la puissance qu'à l'anéantir.

Prolongeant ultérieurement ce dialogue, nous verrons comment la religion de paysan de F. Nietzsche a pu s’imposer dans le monde moderne capitaliste, largement coupé de la nature.

Commentaires

  • Ne serait ce pas Simone Weil (la philosophe, pas l'animal...) représentée par le dessin?
    J'espère avoir de tes nouvelles...

  • Doit y avoir une adresse email quelque part sur ce blog (fodi01@hotmail.com) tu crois quand même pas que je vais te donner des nouvelles ici. En cherchant un peu tu trouveras une ou deux de mes chroniques ukrainiennes pour "Au Trou!?" le célèbre fanzine parisien qui met toutes les pendules à l'heure. Enfin, quand on demande des nouvelles après être resté trois ou quatre ans sans en donner on commence par lâcher un peu de lest, tu crois pas? allez, j'attends ton mail!

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