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  • Du Christianisme

    Le droit, inventé pour protéger les sociétés, est établi sur l’égalité. La société, qui n’est qu’un ensemble de faits, est basée sur l’inégalité. Il existe donc un désaccord entre le fait et le droit. La société doit-elle marcher réprimée ou favorisée par la loi ? En d’autres termes, la loi doit-elle s’opposer au mouvement intérieur social pour maintenir la société, ou doit-elle être faite d’après ce mouvement pour la conduire ? Depuis l’existence des sociétés, aucun législateur n’a osé prendre sur lui de décider cette question. Tous les législateurs se sont contentés d’analyser les faits, d’indiquer ceux blâmables ou criminels, et d’y attacher des punitions ou des récompenses. Telle est la Loi humaine : elle n’a ni les moyens de prévenir les fautes, ni les moyens d’en éviter le retour chez ceux qu’elle a punis. La philanthropie est une sublime erreur, elle tourmente inutilement le corps, elle ne produit pas le baume qui guérit l’âme. Le philanthrope fait des projets, a des idées, en confie l’exécution à l’homme, au silence, au travail, à des consignes, à des choses muettes et sans puissance.

    Le christianisme ignore ces imperfections, car il a étendu la vie au-delà de ce monde. En nous considérant tous comme déchus et dans un état de dégradation, il a ouvert un inépuisable trésor d’indulgence ; nous sommes tous plus ou moins avancés vers notre entière régénération, personne n’est infaillible, le chrétien s’attend aux fautes et même aux crimes. Là où la société voit un criminel à retrancher de son sein, le chrétien voit une âme à sauver. Bien plus !... inspirée de dieu qu’il étudie et contemple, il admet l’inégalité des forces, étudie la disproportion des fardeaux. S’il vous trouve inégaux de cœur, de corps, d’esprit, d’aptitude, de valeur, il vous rend tous égaux par le repentir. Là l’égalité n’est plus un vain mot, car nous pouvons être, nous sommes tous égaux par les sentiments. Depuis le fétichisme informe des sauvages jusqu’aux gracieuses intentions de la Grèce, jusqu’aux profondes et ingénieuses doctrines de l’Égypte et des Indes, traduites par des cultes riants ou terribles, il est une conviction dans l’homme, celle de sa chute, de son péché, d’où vient partout l’idée des sacrifices et du rachat. La mort du Rédempteur, qui a racheté tout le genre humain, est l’image de ce que nous devons faire pour nous-mêmes : rachetons nos fautes ! rachetons nos erreurs ! rachetons nos crimes ! Tout est rachetable, le christianisme est dans cette parole ; de là ses adorables sacrements qui aident au triomphe de la grâce et soutiennent le pécheur. Pleurer, gémir comme la Madeleine dans le désert, n’est que le commencement, agir est la fin. Les monastères pleuraient et agissaient, ils priaient et civilisaient, ils ont été les moyens actifs du christianisme. Ils ont bâti, planté, cultivé l’Europe, tout en sauvant le trésor de nos connaissances et celui de la justice humaine, de la politique et des arts. On reconnaîtra toujours en Europe la place de ces centres radieux. Si vous croyez que dieu ait à vous juger, le chrétien vous dit que tout peut se racheter par les bonnes œuvres du repentir. Les grandes mains de dieu pèsent à la fois le mal qui fut fait, et le trésor des bienfaits accomplis. Soyez à vous seul le temple, vous pouvez en recommencer les miracles.

    Vos prières doivent être des travaux. De votre travail doit découler le bonheur de ceux au-dessus desquels vous ont mis votre fortune, votre esprit, tout, jusqu’à ce talent naturel, image de votre situation sociale.

  • Portrait de Femme

    Elle a aujourd’hui quarante-huit ans, et ne paraît pas avoir moins d’un siècle. Mais elle est plus belle qu’autrefois, et ressemble à une colonne de prières, la dernière colonne d’un temple ruiné par les cataclysmes. Ses cheveux sont devenus entièrement blancs. Ses yeux, brûlés par les larmes qui ont raviné son visage, sont presque éteints. Cependant elle n’a rien perdu de sa force. On ne la voit presque jamais assise. Toujours en chemin d’une église à l’autre, ou d’un cimetière à un cimetière, elle ne s’arrête que pour se mettre à genoux et on dirait qu’elle ne connaît pas d’autre posture. Coiffée seulement de la capuce d’un grand manteau noir qui va jusqu’à terre, et ses invisibles pieds nus dans des sandales, soutenue depuis dix ans par une énergie beaucoup plus qu’humaine, il n’y a ni froid ni tempête qui soit capable de lui faire peur. Son domicile est celui de la pluie qui tombe. Elle ne demande pas l’aumône. Elle se borne à prendre avec un sourire très doux ce qu’on lui offre et le donne en secret à des malheureux. Quand elle rencontre un enfant, elle s’agenouille devant lui, […] et trace avec la petite main pure un signe de croix sur son front. Les chrétiens confortables et bien vêtus qu’incommode le Surnaturel et qui ont dit à la Sagesse « Tu es ma sœur », la jugent dérangée d’esprit, mais on est respectueux pour elle dans le menu peuple et quelques pauvresses d’église la croient une sainte. Silencieuse comme les espaces du ciel, elle a l’air, quand elle parle, de revenir d’un monde bienheureux situé dans un univers inconnu. Cela se sent à sa voix lointaine que l’âge a rendue plus grave sans en altérer la suavité, et cela se sent mieux encore à ses paroles mêmes.

    Tout ce qui arrive est adorable, dit-elle ordinairement, de l’air extatique d’une créature mille fois comblée qui ne trouverait que cette formule pour tous les mouvements de son cœur ou de sa pensée, fût-ce à l’occasion d’une peste universelle, fût-ce au moment d’être dévorée par des animaux féroces. Bien qu’on sache qu’elle est une vagabonde, les gens de police, étonnés eux-mêmes de son ascendant, n’ont jamais cherché à l’inquiéter.

    Après la mort de son mari, […] elle avait tenu à se conformer à celui des Préceptes évangéliques dont l’observation rigoureuse est jugée plus intolérable que le supplice même du feu. Elle avait vendu tout ce qu’elle possédait, en avait donné le prix aux plus pauvres et, du jour au lendemain, était devenue une mendiante. Ce que durent être les premières années de cette existence nouvelle, Dieu le sait ! On a raconté d’elle des merveilles qui ressemblent à celles des Saints, mais ce qui paraît tout à fait probable, c’est que la grâce lui fut accordée de n’avoir jamais besoin de repos. – Vous devez être bien malheureuse, ma pauvre femme, lui disait un prêtre qui l’avait vue tout en larmes devant le Saint Sacrement exposé, et qui par chance, était un vrai prêtre.

    – Je suis parfaitement heureuse, répondit-elle. On n’entre pas dans le Paradis demain, ni après-demain, ni dans dix ans, on y entre aujourd’hui, quand on est pauvre et crucifié.

    - HODIE mecum eris in paradiso, [aujourd’hui même tu seras avec moi au paradis] murmura le prêtre, qui s’en alla bouleversé d’amour.

    [Un des malfaiteurs suspendus à la croix dit à Jésus : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. » Et Jésus lui répondit : « En vérité je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi au paradis.» Luc, XXIII, 39, 42-4]

    À force de souffrir, cette chrétienne vivante et forte a deviné qu’il n’y a, surtout pour la femme, qu’un moyen d’être en contact avec Dieu et que ce moyen, tout à fait unique, c’est la Pauvreté. Non pas cette pauvreté facile, intéressante et complice, qui fait l’aumône à l’hypocrisie du monde, mais la pauvreté difficile, révoltante et scandaleuse, qu’il faut secourir sans aucun espoir de gloire et qui n’a rien à donner en échange.

    Elle a même compris, et cela n’est pas très loin du sublime, que la Femme n’existe vraiment qu’à la condition d’être sans pain, sans gîte, sans amis, sans époux et sans enfants, et que c’est comme cela seulement qu’elle peut forcer à descendre son Sauveur. […] Parfaitement douce et parfaitement implacable. Affiliée à toutes les misères, elle a pu voir en plein l’homicide horreur de la prétendue charité publique, et sa continuelle prière est une torche secouée contre les puissants…

    Il n’y a qu’une tristesse, a-t-elle dit, c’est de N’ÊTRE PAS DES SAINTS…

     

    Extrait de La Femme Pauvre de Léon Bloy

  • L'ordre républicain policier

    Je m'insurge contre l'article d'une gazette en ligne ("Article 11"), dont l'auteur s'efforce d'attribuer la violence de l'ordre républicain aux seuls policiers. Il s'agit là d'une opération de blanchiment de l'institution républicaine, caractéristique des bonnes conscience "de gauche".

    La gauche rend certainement ici à l'institution républicaine un service d'ordre plus utile que celui de l'institution policière elle-même. Un marxiste qualifiera cet office de "religieux". Je ne crois pas me tromper en affirmant que Marx verrait dans la police et ses méthodes brutales, au service de l'ordre républicain, une cause d'aliénation secondaire. L'idéologie de gauche s'efforce "grosso modo" de dissuader les jeunes Français de comprendre la nature de l'oppression moderne, totalitaire, en les amenant à concentrer leur volonté de rébellion contre un ordre globalement inique, dont ils éprouvent d'abord la violence sur le plan moral, sur les seuls aspects physiques de la violence.

     

    A cet égard, le discours féministe de gauche est caractéristique, qui pointe sans arrêt les débordements de  violence physique ou "virile", sans jamais démontrer en quoi l'oppression sociale est principalement masculine. Aucun penseur, décelant dans l'institution familiale elle-même, ou l'institution étatique décalquée sur le modèle familial, une cause d'aliénation et d'oppression, ne décrète que ces organisations découlent d'une volonté masculine. Cela reviendrait à occulter qu'il y a dans l'oppression un problème lié au désir de s'y soumettre. Occultation gravissime, puisqu'elle est certainement caractéristique de l'oppression moderne.

    L'institution républicaine est contraignante à tous les niveaux, et non seulement celui de la police, qui obéit aux ordres de la magistrature. Mais aussi l'Education nationale, monopolistique pour la moins démocratique des raisons, imprime sur les esprits une forte coercition, facteur d'ordre républicain bien plus puissant que la police. Les sociologues qui défendent ce monopole (Luc Ferry), n'hésitent pas à le faire au nom de l'élitisme et de la cohésion nationale. La croissance économique fournit certainement à cette dernière un appui plus sûr que le galimatia kantien de Luc Ferry. Rien de démocratique là-dedans, sauf à faire de la démocratie un consensus mou proche de la démagogie.

    On pourrait dire que l'idéologie de gauche, dont l'influence s'exerce principalement à travers l'Education nationale, ne cesse de pointer du doigt les attributs virils de l'institution républicaine, comme si celle-ci était pure par ailleurs. Et même sur le plan de l'enseignement de l'histoire, c'est le cas d'une éducation civique qui consiste à occulter le passé récent de l'institution républicaine, marqué par une extrême violence ; jusqu'à occulter même la fondation de ces institutions dans la violence. De même, les dernières évolutions économiques sont traduites comme un progrès juridique ou institutionnel, quand la crise économique signale plutôt que ce progès institutionnel reposait seulement sur l'enrichissement du pays. Si je ne m'abuse, les valeurs de gauche, comme celles de droite, sont directement menacées par la crise. Elles ne sont qu'une imposture, distincte de l'humanisme véritable, puisqu'elles ne font que contribuer à la cohésion nationale, et distribuer des points de mauvaise ou de bonne conduite, dans un contexte d'opulence où la pauvreté est le seul péché véritable.

    Il est si vrai que l'Education nationale est d'abord chargée de l'adhésion religieuse à l'ordre républicain, que les tentatives de réformer l'Education nationale, éludant systématiquement les efforts de cette institution pour substituer l'esprit religieux à l'esprit critique, sont nécessairement hypocrites ou voués à l'échec. En réalité ils nient l'oppression subie par les enfants, et ne font que se soucier de la pérennité d'un système - que la tendance de ces réformes soit réactionnaire, ou bien qu'elle soit moderniste. Les réformateurs envisagent à peine la contradiction entre l'éducation et l'esprit critique, celle-ci étant opposée à celle-là, pure méthode, quand l'esprit critique voit plus loin que la méthode. Les réformateurs se placent ainsi dans une configuration où ils sont certains d'échouer sur les deux plans.

    C'est au niveau universitaire que l'échec est le plus flagrant, puisque c'est à ce niveau que l'esprit critique était possible. "Le poisson pourrit par la tête" : l'adage est ainsi confirmé. Il signifie aussi, et ce n'est pas le moindre fait que l'idéologie de gauche s'efforce de dissimuler, que la responsabilité du populisme ou du chaos, incombe toujours aux élites.

    Enfin, il faut souligner à quel point l'idéologie de gauche, répercutée aujourd'hui y compris dans une presse qui se veut indépendante ou impertinente, sert le programme néo-colonialiste du gouvernement français. Il ne s'agit plus d'éduquer les populations du tiers-monde ou des pays émergents au catholicisme ou à l'ordre juridique raciste républicain, mais à des "valeurs de gauche" indéterminées, de justifier des campagnes militaires de cette façon, dont le caractère stratégique et intéressé est aussi facile à repérer qu'il l'est dans les croisades ou l'expansion coloniale au XVIIe siècle.

    Telemax

    Article paru dans "Au Trou!?" le 2 mars 2013

  • Patience.1

    Dans l’attente de deux poèmes de Shakespeare (qu’une jeune ingénue a soumis à ma lecture l’été dernier et dont il m’est parvenu, par l’intermédiaire de Lapinos, qu’il pourrait bien y avoir un lien spirituel ou métaphysique de première importance, les poèmes de Shakespeare étant les seules véritables productions modernes de valeur en ce foireux domaine), je m’en laisse un peu conter par Caïn Marchenoir.

      

    « Vous voudriez savoir quelle est la récompense  ou le salaire des animaux. Si je le savais pour vous l’apprendre, je serais Dieu, car je saurais alors ce que les animaux sont en eux-mêmes et non plus, seulement, par rapport à l’homme. N’avez-vous pas remarqué que nous ne pouvons apercevoir les êtres ou les choses que dans leurs rapports avec d’autres êtres ou d’autres choses, jamais dans leur fond et dans leur essence ? Il n’y a pas sur terre un seul homme ayant le droit de prononcer, en toute assurance, qu’une forme discernable est indélébile et porte en soi le caractère de l’éternité. Nous sommes des « dormants», selon la Parole sainte, et le monde extérieur est dans nos rêves comme « une énigme dans un miroir ». Nous ne comprendrons ce « gémissant univers » que lorsque toutes les choses cachées nous auront été dévoilées, en accomplissement de la promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ. Jusque-là, il faut accepter, avec une ignorance de brebis, le spectacle universel des immolations, en se disant que si la douleur n’était pas enveloppée de mystère, elle n’aurait ni force ni beauté pour le recrutement des martyrs et ne mériterait même pas d’être endurée par les animaux. »

     

    Bloy parle d’apercevoir le rapport entre les êtres quand Simone Weil dit que les mots ne devraient servir qu’à décrire le rapport entre les choses. De toute évidence, ces deux chrétiens savent le danger qui réside dans la parole. 

    Cela dit, Bloy confond ici force et beauté (puissance et beauté du diable) avec la force de l’amour, cet œuf de la nuit, comme disent les Anciens, voir les fables d’Orphée et de Cupidon révélés par Bacon. Ça doit tenir à son désir de sauver l’Eglise catholique. Il a dû oublier que cette putain est condamnée depuis L’Apocalypse. La douleur n’est plus un mystère dès lors que le christ a montré qu’elle provenait du péché, épisode qui revient dans les quatre évangiles. Car, lequel est le plus aisé, de dire: Tes péchés sont pardonnés, ou de dire: Lève-toi, et marche? Mathieu 9:5, Luc 5:23 Lequel est le plus aisé, de dire au paralytique: Tes péchés sont pardonnés, ou de dire: Lève-toi, prends ton lit, et marche? Marc 2:9 Cependant, Jean, lui, ne relève pas l’allusion au péché. Lève-toi, lui dit Jésus, prends ton lit, et marche. 5:8.

    Bloy aurait été mieux inspiré de lire Swedenborg comme Balzac, ou Shakespeare comme Céline, plutôt que Joseph de Maistre, cet intello si peu sincère qui a osé écrire L'évangile hors de l'Eglise est uque l'Evangile hors de l'Eglise est un poison (alors que c'est précisément le contraire qui est vrai) et que « Jamais le christianisme, si vous y regardez de près, ne vous paraîtra plus sublime, plus digne de Dieu, et plus fait pour l'homme qu'à la guerre. » l’a dû lire les Ecritures d’une main ce galfâtre (ou alors c’est moi qui n’y regarde pas d’assez près, mais c’est quand même assez pernicieux).

     

     

    Voici ce qu’il est écrit dans le livre de Jean, l’adresse, par « quelqu'un qui ressemblait à un fils d'homme », à Laodicée, qui est l’église de notre temps puisque chacune correspond à un moment de l’Histoire :

    De 3:14 à 3:22 Ecris à l'ange de l'Eglise de Laodicée: Voici ce que dit l'Amen, le témoin fidèle et véritable, le commencement de la création de Dieu: Je connais tes œuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. Parce que tu dis: Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, je te conseille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche, et des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas, et un collyre pour oindre tes yeux, afin que tu voies. Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j'aime. Aie donc du zèle, et repens-toi. Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j'ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Eglises!

    J’y reviendrai. En particulier pourquoi, si ce fils d’homme est le christ, se définit-il comme le commencement de la création de dieu, ce qui remet en question le rôle d’Adam et Eve.

     En tous cas on pourra guère pas reprocher à Bloy d’avoir été tiède :

    « Marchenoir, ce perpétuel vaincu de la vie, avait reçu le privilège ironique d’une éloquence de victorieux. »

     

     

     

  • Mur mûr

    Un héros bernanosien me parle :

     « J’ai le souffle un peu court dans les côtes.

    Un sens heureux de ma faiblesse intellectuelle m’a toujours apaisé et fortifié, comme un signe ineffable de la présence de dieu. Jamais rien désiré de plus que je ce que je pouvais atteindre et toujours pourtant, le moment venu, l’effort moins grand que je n’aurais  imaginé, comme si miraculeusement me devançait la céleste compassion. Une pauvreté intellectuelle surnaturelle a brillé sur mon enfance comme un petit astre familier, au point que plusieurs fois perdu en mer j’ai pu m’écrier «  je ne peux me perdre qu’en dieu ! ».

     Si pauvre était mon intelligence, ma raison restait droite, ma conscience claire, le sentiment de la faute ne me tenait pas au cœur. Comment se plaindre de sa pauvreté à un maitre plus riche que tous les rois. 

    Aucune épreuve, aucune lecture, ne pouvait mettre en péril l’humble allégresse, la certitude d’être né pour les travaux faciles qui rebutent les grandes âmes, ni cette espèce de clairvoyance malicieuse qui surprenait les moins réfléchis, et dont personne ne savait le secret.

    Puis j’ai pénétré ce secret … à la longue ! Oui car j’ai longtemps crains de m’interroger, redoutant surtout, par une vaine impatience à connaître et à admirer, de me blesser au point le plus sensible, là où se consomme, à l’insu de tous, dans un silence plus pur que l’immense quiétude céleste, l'alliance divine, l'inégalable accord. Peut-être même ai-je pris le risque un temps d’être piégé par ma propre conscience claire et profonde ; moins indifférent que je le croyais au monde, à ses succès véniels, au luxe, au calme, à la volupté. J’aurais dû m’inquiéter plus tôt de ces coquetteries, mais bon… j’ai fini par  apercevoir en moi ce que je cherchais depuis si longtemps à travers le monde bruyant et vide où j’errais en étranger : l’esprit, le rayonnant esprit de confiance et d’abandon. J’étais un peu femme. Pédéraste tu dirais!

    Comment prendre alors en charge cette joie mystérieuse qui pèse son poids de surnaturel ? Suave fontaine de suavité !

    La certitude de ne tenir la paix que d’un admirable caprice de dieu suffit dès lors à m’éviter la moindre complaisance pour cette découverte imprévue dont je connais à présent le péril artificieux.

    Oui, longtemps j’ai pris le soin et la peine de ne rien garder, de dépenser au jour le jour l’aumône tombée du ciel – et pourquoi la peser, qu’importe ? Il me semblait quand même nécessaire de pouvoir en rendre un compte exact. Et puis demeurer, plus impénétrable, dans une extraordinaire douceur, attendre patiemment que la mesure soit comble, et que dieu se révèle de lui-même à un cœur qui déjà débordait de lui, et ne s’en doutait pas. Que je suis donc né prodigue ! il y a trop d’âmes dévotes qui ont besoin d’apprendre à dépenser, qui thésaurisent. Ça gâte un peu le jugement, quelle misère ! Il n’y a rien de pire que mépriser la grâce de dieu, mais il ne faut pas non plus l’épargner sou par sou, non ! notre maître est riche.

    Mais une vie doit s’écrire dans un style très familier dont dieu seul a la clef, s’il y a une clef.

    Qui a le plus à craindre du monde ? vous ou moi ?

     Ce qu’il nous faut ? La chose vient en son temps, parce qu’il y a des saisons pour les âmes. Oui ! il y a des saisons. La gelée viendra, même en mai. Est-ce que ça empêche les arbres de fleurir ? Est-ce que dieu ménage son printemps, mesure le soleil et les averses ? Laissons-lui jeter son bien par les fenêtres. Et puis je sais encore ceci, qu’il importe avant tout de s’écarter le moins possible de ce point précis où il nous laisse, et où il peut nous retrouver dès qu’il lui plaît.

    L’incomparable détresse de notre espèce est son instabilité.

    (J'ai pensé: le diable a la bougeotte.)

    Il faut être aveugle pour croire que le mal ne se montre qu’aux misérables qui s’en laissent peu à peu dévorer. Ils ne connaissent que les aléatoires jouissances, la peine idiote, le ressassement mélancolique et stérile. Effondrement dérisoire, ces hurlements qu’aucun vivant n’entend, comme des messagers d’une nuit sans fin ! Si l’enfer ne répond rien ce n’est pas qu’il refuse de répondre, c’est qu’en vérité l’enfer n’a rien à dire et ne dira jamais rien, éternellement.

    Seule une certaine pureté, une certaine simplicité (l’ignorance des saints ?) prenant le mal en défaut, pénètre dans son épaisseur, dans l’épaisseur du vieux mensonge. Qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur, par un miracle de compassion, et qu’importe d’en connaître ou non la source impure !  Ce que je sais du péché, disait le curé d’Ars, je l’ai appris de la bouche même des pécheurs. Et qu’avait-il entendu le vieil enfant, entre tant de confidences honteuses, de radotages intarissables, sinon le gémissement, le râle du désir exténué, qui crève les poitrines les plus dures ? Quelle expérience du mal l’emporterait sur celle de la douleur ? Qui va plus loin que la pitié ?

    L’amour, cette charité plus humaine, plus charnelle, qui découvre dieu dans l’homme, et les confond l’un et l’autre, par la même compassion surnaturelle. Transformation trop intime, trop profonde de la vie de l’âme, pour qu’en paraissent au-dehors les signes visibles. Ça vient par degrés, insensiblement, ça lève lentement dans le cœur. Ne pas ignorer le mal et ne jamais feindre de l’ignorer, rester sensible et vif pour ne pas se dissimuler à soi-même, comme tant d’ingénus volontaires, certaines méfiances et certains dégoûts, enfin, que la droiture soit la plus forte ! Ce pressentiment du péché, de ses dégradations, de sa misère, peut rester vague, indéterminé, parce qu’il faut la déchirante expérience de l’admiration ou de l’amitié déçue pour nous livrer le secret tragique du mal, mettre à nu son ressort caché, cette hypocrisie fondamentale, non des attitudes, mais des intentions, mensonge qui fait de la vie de beaucoup d’hommes un drame hideux dont ils ont eux-mêmes perdu la clef, un prodige de tromperie et d’artifice, une mort vivante. Mais qui peut décevoir celui qui croit d’avance ne posséder ni mériter rien, n’attendre que de l’indulgence ou de la charité d’autrui ?

    Oui, qui peut décevoir la joie des humbles ?  Ils voient des choses extraordinaires, des choses comme on n’en voit pas dans les livres. Et ils n’ont rien, absolument rien.

    Le plus lourd dans l’homme, c’est le rêve. »

     

    Il chuchotait presque.

    Alors j’ai dis :

    Le rêve, un mur contre la mort… mûr pour l’apocalypse !