mon compteur

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Diarrhée UA

     

    26012011.jpg

     

    Lundi

    Un doigt de lessive, une main de ménage, beaucoup de lecture, je sais pas ce qui lasse le plus de la chair ? D’après le roi Salomon, ce serait la lecture. Fi de la modération en ce domaine, déclare Francis Bacon. Le ménage, en revanche, ne fait penser qu’à ça, c’est pas les babouchkas ménopausées et les hystériques frustrées qui diront le contraire : tout ce tremblement, c'est que du coït "sublimé". On frotte pour faire partir la tâche originelle, et ainsi on s’échauffe les sens... religieusement. La prétendue "paix du ménage" prépare la "guerre du sexe", bataille perdue d'avance par les mecs.

    De l'utilité de la science pour l'amour ? L'argument, décisif, est dans Bacon : la science seule permet de distinguer ce qui dans l'amour n'est, en réalité, qu'idolâtrie. Si le Siècle avait pris la peine de lire Bacon attentivement, ce sont des mégatonnes de puritanisme puis d'érotomanie consécutive qui auraient pu être évités, tout ce bordel qui n'atteindra jamais son but : l'ordre des abeilles ou la jouissance du singe. 

     

     

    Mardi

    Le gouvernement ukrainien propose du net d’impôt pour tous les hôtels construits avant 2012… pendant dix ans !  (hôtels de passe ?) Un gouvernement qui n’a pas cinq ans devant lui, je sais pas bien si c’est une affaire. Mais ce serait bien le paradoxe libéral de pouvoir s'enrichir dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe.

     

    Mercredi

    Le pays est dans le cirage ; quatre fêtes importante en trois semaines, deux Noël, deux Nouvel An, du 25 décembre au 14 janvier ce fut la grande pause hivernale. Les orthodoxes ne négligent pas la pompe, et, du coup, pour pallier l’ennui de toutes ces célébrations, l’alambic tourne à plein régime. Jésus-Christ ou... Bacchus ?

     

    Jeudi

    Pris quatre vieillards, trois femmes et un homme, en stop ; ils m’ont assommé avec leurs satanés chants traditionnels. Heureusement, ils n’allaient qu’au village voisin. Je me voyais déjà leur faire le coup de la panne.

     

    Vendredi

    Suis allé à la piscine. Me suis souvenu de la comparaison de mon pote Bardamor entre la piscine et le sein maternel. Loisir pédérastique, donc. On était presque seul avec mon pote. Le plongeoir était fermé, menaçant de s’écrouler, et le plafond tout boursoufflé d’humidité, prêt à nous tomber sur la poire. Me suis pas éternisé, à part sous la douche chaude. Mais vu le prix (une cartouche de clope) je préfère prendre une douche chez mon pote et arrêter de fumer.

     

    Samedi

    Je fume toujours comme un diesel, même au lit, et je me lave le moins possible. Je suppose qu’un type marié se lave tous les jours et ne fume que sur le balcon ou sous la hotte de la cuisinière. Mes six mois de vie maritale avec Olga m’auront peut-être fait gagner une demi-heure de vie ? Fasse le Ciel que ça m'aide à connaître l'extase de l'apocalypse, comme saint Jean à Patmos, la solution finale de tous les errements humains, et que je sois ravi en esprit. "Aide-toi et le Ciel t'aidera" : nul n'a mieux appliqué cet adage que Bacon.

     

    Dimanche

    J’apprends que deux familles d’amis sont lessivées, soi-disant par les microbes. Il est vrai qu’ils incubent facilement chez les enfants, et se renforcent pour attaquer ensuite les parents. Enfin, c’est comme ça que je vois la chose. En tant que fumeur célibataire sans enfant, je suis blindé contre ce genre d’attaque.

  • Agitation Intérieure

    vieille fille.JPG

    "Les froids intérieurs des vieilles filles sont parmi les plus luisants." 

    Balzac


    Et les moins reluisants.


     

  • Chronique UA

    maison 01.JPG

    Lundi

    Curieux, je suis à la maison, comme en attente de quelque chose qui ne vient pas. Rien d’angoissant toutefois. Peux lire en paix.. La vérité nous vient petit à petit, persévérer est le mot clé. Je prends la décision de faire annuler mon mariage et ma « paternité » ukrainiens. Comme disent les romains : "Pater Incertus, Mater Certissima".

     

    Mardi

    Je prends une pute en stop, sans le savoir. Comme c’est la nuit, le froid, je la ramène chez moi. Elle me sert une histoire de médicaments à payer pour les enfants de sa copine. C’est pas une professionnelle, juste une gamine qui adore dormir. Je lui donne un peu d’argent, à manger et mon lit. Elle s'endort comme une pierre. Le matin venu, elle ne me demande rien (voilà qui est étrange) ; je la conduit à l’autobus, et sur le chemin, elle acquiesce vaguement quand je lui fais promettre de ne pas recommencer. Ai-je manqué de persuasion ? Je n'ai pourtant pas hurlé mon « Va, et ne pèche plus ! ». 

     

    Mercredi

    Insolite, je vois beaucoup de monde ici et là. Les vérités sur Houellebecq que j’ai assénées à L’Institut français la semaine dernière ont provoqué pas mal d'animosité. On me reproche de parler trop fort (je ne parle pas, je rugis) et, surtout, de prétendre dire la vérité. Rumeurs, échos et chuchotements seraient préférables. Me reste qu’à secouer la poussière de mes godasses et reprendre mon chemin… de Damas.

     

    Jeudi

    Historique, dans un magazine, la photo de la tzarinette Romanov, exécutée en 1918 avec toute sa famille. Elle a une dizaine d’année sur la photo et elle est bien mignonne, ma foi. Quel gâchis, une vie cueillie si tôt, et combien d’autres par la faim, la souffrance et la peur qu’ont semées les ancêtres de la tzarinette. Le mot russe Tsar vient de César.

     

    Vendredi

    Je m’attelle à la lecture des œuvres du chancelier Bacon. "Le grand philosophe anglais", comme dit Buchon son traducteur en 1838. Ce Buchon ne m’inspire pas confiance. D’emblée, je bute sur la citation de Pope qu’il place en exergue de sa notice biographique interminable :

    "If parts allure thee, think of how Bacon shined,

    The greatest, wisest, meanest of mankind."

    (wisest brightest meanest semble être la bonne version)

    Qu’on peut traduire par :

    "Si les choses de l’esprit vous séduisent, songez à l’éclat de Bacon,

    Le plus sage, le plus illustre (le plus brillant, etc.) et des hommes le plus con."

    Je plaisante pour la rime et parce que ce « meanest » est ambigü, utilisé pour rendre l'idée de moyenne voire de médiocrité aussi bien que d'abondance. Une allusion, peut-être, à la devise du chancelier "Mediocria Firma" ? Quoi qu'il en soit, ce Pope astique comme un chamois.

    Samedi/dimanche

    RAS, début d'année studieux.

  • Black Humor

    31122010(018).jpg

    « A Tous ceux qui ont perdu un être cher dans les violences post électorales, les blessés, tous ceux qui ont perdu des pieds, que Dieu donne à chacun le réconfort et le courage, d’aller de l’avant ».

     

    Sacré Gbagbo, fait de l’humour ! l’est comme Mr Jourdain, fait de l’humour et de la politique sans le savoir. Inquiétant Gbagbo !

    Le lien entre humour, humeur et politique, c’est la femme. Allez, un petit effort.

    Quel est le lien caché entre humour et humeur, à part l’étymologie  (en fait c’est le même mot, mais les anglais avec un wit bien français en ont fait ce qui désigne une légèreté très féminine) ?

    L’humour c’est le moyen de retourner une situation triste en une manifestation de joie (oh ! la barbe avec ta vérité Fodio, fait-nous rire nom d’une pipe !)

     L’humeur fait la même chose, et le contraire aussi . L’humour n’est donc qu’un revers de l’humeur. Son envers, c’est la politique. Ainsi les humoristes chargent la politique, cette lugubre charogne, pour la transformer en bonne blague avec distance morale, incorrection bon enfant et sympathique impertinence qui tire les zygomatique des esclaves qui par leur faute, (avec l’accent de Gbagbo on entend très bien « faute » pour « vote » ) par leurs votes donc, ont amener ces guignols aux commandes de leur vie. Voter ou fauter c’est dire son amour pour un candidat. Un prétendant qui cherche à vous plaire. En politique c’est anonyme, par une sorte de pudeur républicaine ; en art, c’est signé, on rigole ou pas. La farce est jouée. On a payé. Allez une petite pièce ! Quelle bonne blague !

    Ah mais c’est que l’argent, ce liquide à deux faces, métal rond ou rectangle de papier, a un côté pour l’humeur et l’autre pour l’humour, un pour la politique, l’autre pour la femme ! la femme est politique autant que la politique est femme, elle a ses humeurs et elle adore l’humour, quant à l’argent, c’est presque un autre mot pour femme. Une chose pour laquelle on doit investir ! de la croyance en l’avenir. On dépose une graine d’espoir, on décide de donner un rapport durable à une valeur fluctuante par essence et soumise au temps. Un pari sur l’avenir. Le genre de pari qui coûte très cher, ça va sans dire et qu’il faut un jour ou l’autre rembourser, avec tout le lait perdu et Pierrette perdant pied, éplorée par la conjoncture et sa chute inopinée.

    En politique, il n’y a que des obstacles car c’est ainsi que se présente le monde du point de vue féminin. Et le rêve est le seul moyen de les franchir. Une façon plutôt comique de s’imaginer qu’on a des ailes quand on a les pieds pris dans le bêton (gare à la bête on !) : imaginez la noirceur du nègre blanc qui a écrit pour un Gbagbo devenu blanc comme neige un discours de martyr en béton, si c’est pas de l’humour noir !?

  • Conte Merveilleux de Léon Bloy

    02012011(011).jpg

    “plus un radis dans la profonde et rien dans le battant" […]  il fallut le décrasser, l'habiller, le loger et le remplir tous les jours.”

     

    Il s’agit du père de la dame. Je ne résiste pas à l’envie de recopier cette histoire plus que désobligeante, dont le thème est l’amour filial (les chiens font pas des chats).

     

     

    Ah ! elle pouvait se vanter d'en avoir de la vertu, Mme Alexandre ! Songez donc ! Depuis trois ans qu'elle le supportait, ce vieux fricoteur, cette vieille ficelle à pot-au-feu qui déshonorait sa maison, vous pensez bien que si ce n'était pas son père, il y avait longtemps qu'elle lui aurait collé son billet de retour pour le poussier des invalos de la Publique !

    Mais quoi ! on est bien forcé de garder les convenances, de subvenir à ses auteurs quand on n'est pas des enfants de chiens et surtout quand on est dans le commerce.

    Oh ! la famille ! Malheur de malheur ! Et il y en a qui disent qu'il y a un bon Dieu ! Il ne crèvera donc pas un de ces quatre matins, le chameau ?

    La fréquence extrême de ce monologue filial en avait malheureusement altéré la fraîcheur. Il ne se passait pas de jour que Mme Alexandre ne se plaignît en ces termes de la coriacité de son destin.

    Quelquefois, pourtant, elle s'attendrissait lorsqu'il lui fallait divulguer son âme à des clients jeunes qui n'eussent qu'imparfaitement saisi la noblesse de ses jérémiades.

    Bon et cher papa, roucoulait-elle, si vous saviez comme nous l'aimons ! Nous n'avons toutes qu'un cœur pour le chérir. Le métier n'y fait rien, voyez-vous ! On a beau être des déclassées, des malheureuses, si vous voulez, le cœur parle toujours. On se souvient de son enfance, des joies pures de la famille, et je me sens bien relevée à mes propres yeux, je vous le jure, quand je vois aller et venir, dans ma maison, ce vénérable vieillard couronné de cheveux blancs qui nous fait penser à la céleste patrie. Etc., etc.

    L'inconscience professionnelle permettait sans doute à la drôlesse de fonctionner, avec une égale bonne foi, dans l'une ou l'autre posture, et l'hôte septuagénaire du grand 12, alternativement habillé de gloire et d'ignominie, croupissait au bord de sa fille, − dans l'inaltérable sérénité du soir de sa vie, − comme une guenille d'hôpital sur la rive du grand collecteur.

     

    ***

     

    L'histoire de ces deux individus n'avait, pour tout dire, aucune des qualités essentielles qu'on doit exiger du poème épique.

    Le bonhomme Ferdinand Bouton, familièrement dénommé papa Ferdinand ou le Vieux, était une ancienne canaille de la rue de Flandre où il exerça naguère trente métiers dont le moins inavouable mit plusieurs fois en danger sa liberté.

    Mlle Léontine Bouton, qui devait être un jour Mme Alexandre et dont la mère disparut peu de temps après sa naissance, avait été élevée par le digne homme dans les principes de la plus rigoureuse improbité.

    Préparée, dès son âge tendre, aux militantes pratiques, elle décrochait, à treize ans, une brillante situation de vierge oblate chez un millionnaire genevois renommé pour sa vertu, qui l'appelait son «ange de lumière» et qui acheva de la putréfier. Deux ans suffirent à la débutante pour crever ce calviniste.

    Après celui-là, combien d'autres ! Recommandée surtout aux messieurs discrets, elle devint quelque chose comme un placement de père de famille et marcha, jusqu'à dix−huit ans, dans une auréole de turpitudes.

    À ce moment, devenue sérieuse elle-même, à force de se frotter à des gens sérieux, elle lâcha son père dont la pocharde frivolité de crapule, désormais oisive, révoltait son cœur.

     

    Et quinze années ensuite s'écoulèrent pendant lesquelles cet abandonné se rassasia d'infortunes.

    Désaccoutumé des affaires, ne retrouvant plus son ancienne astuce, il ressemblait à une vieille mouche qui n'aurait pas la force de voler sur les excréments et dont les araignées elles-mêmes ne voudraient plus.

    Léontine, plus heureuse, prospéra. Sans s'élever aux premières charges de la Galanterie publique dont ses manières de goujate incorrigible ne lui permettaient pas d'ambitionner la dictature, elle sut manœuvrer dans les emplois subalternes avec tant d'art et de si ambidextres complaisances, elle se faufila, s'installa, se tassa si fermement aux bonnes ripailles et, n'oubliant jamais d'emplir son verre avant que la bouteille eût achevé de circuler, fut tellement rosse devant Dieu et devant les hommes, qu'elle en vint à pouvoir défier le malheur.

     

    ***

     

    Le malheur, alors, se présenta sous l'espèce falote et fantomatique de son père.

    Le vieux drôle, au moment de sombrer à tout jamais dans le plus insondable gouffre, avait appris que sa fille, sa Titine, quasi célèbre, maintenant, sous le nom de Mme Alexandre, gouvernait de main magistrale une hôtellerie fameuse où les princes de l'extrême Orient venaient apporter leur or.

    Vermineux et couvert de loques impures, n'ayant «plus un radis dans la profonde et rien dans le battant», il tomba donc chez elle un beau jour et la fortune lui fut à ce point favorable que l'altière pachate, quoique enragée de sa survenue, fut obligée de l'accueillir avec les démonstrations du plus ostensible amour.

    La malchance de celle-ci voulut, en effet, qu'à l'instant même où, forçant toutes les consignes, il se précipitait dans ses bras, elle se trouvât en conférence avec de rigides sénateurs peu capables de badiner sur le quatrième commandement de la loi divine. L'un d'eux même, remué jusqu'au fond de ses entrailles par cet incident pathétique, ne crut pouvoir se dispenser de la bénir en lui prédisant une interminable vie.

    Après un tel coup, papa Ferdinand devenait indélogeable et inextirpable à jamais. Sous peine d'encourir l'indignation des honnêtes gens et de perdre l'estime fructueuse des mandarins, il fallut le décrasser, l'habiller, le loger et le remplir tous les jours.

    L'existence, jusqu'alors douce comme le miel, de Mme Alexandre, fut empoisonnée. Ce père fut le pli de rose de sa couche, le pétrin de son âme, la tablature de ses digestions et, tout au contraire de Calypso, elle ne parvenait pas à se consoler du retour d'Ulysse.

    Il n'était pourtant pas gênant. Dès le premier jour, on l'avait installé dans la mansarde la plus lointaine, la plus incommode et probablement la plus malsaine. C'était à peine si on le voyait. Il observait fidèlement la consigne de ne pas rôder dans la maison à l'heure des clients et surtout de ne jamais mettre les pieds au Salon.

     

    Il ne fallait rien moins pour déroger à cette loi sévère, que la fantaisie d'un amateur étranger qui demandait quelquefois à voir le Vieux, dont toutes ces dames parlaient avec des susurrements de vénération craintive, comme elles auraient parlé du Masque de Fer.

    Pour ces circonstances, il avait un justaucorps écarlate à brandebourgs et une espèce de casquette macédonienne qui lui donnait l'air d'un Hongrois ou d'un Polonais dans le malheur. On l'ornait alors du titre de comte, − le comte Boutonski ! − et il passait pour un débris couvert de gloire, de la plus récente insurrection.

    Cumulativement, il nettoyait les latrines, balayait les escaliers, essuyait les cuvettes et la vaisselle, quelquefois avec le même torchon, disait avec rage Mme Alexandre. Enfin, il faisait les courses des pensionnaires dont il avait la confiance et qui lui donnaient de jolis pourboires.

    Aux heures de loisir, l'heureux vieillard se retirait dans sa chambre et relisait assidûment les œuvres de Paul de Kock ou les élucubrations humanitaires d'Eugène Transpire, ainsi qu'il nommait l'auteur des Mystères de Paris et du Juif Errant, les deux plus beaux livres du monde.

     

    ***

     

    Pendant la guerre, naturellement, la maison périclita. Les clients étaient en province ou sur les remparts et l'état de siège rendait les trottoirs impraticables.

     

    L'exaspération de Mme Alexandre fut à son comble. Du matin au soir, elle ne cessait d'exhaler sa fureur contre le Vieux qui se racornissait de plus en plus et qu’elle vomissait à pleine gueule, sans interruption.                                                                                                                                                                                                                           Elle alla, dans son délire, jusqu'à l'accuser d'avoir allumé le conflit international par ses manigances.

    Quand fut décidée la rançon des cinq milliards, elle se prétendit frustrée, vociférant que c'était autant de fichu pour son commerce et qu'on devrait bien fusiller tous les vieux salauds qui portaient malheur...

    Elle tournait positivement à l'hydrophobie et l'existence devenait impossible.

    Il va sans dire que la Commune fut inapte à revigorer son branlant négoce. La clientèle pourtant ne chômait pas. L'établissement ne désemplissait pas une minute. C'était à se croire dans une église !

    Mais quelle clientèle, Dieu des cieux ! Des ivrognes rouges, des assassins, des voyous infâmes galonnés de la tête aux pieds, qui se faisaient servir le revolver au poing et qui cassaient tout, et qui auraient tout brûlé si on avait eu l'audace de leur résister.

    Cette fois, par exemple, elle ne gueulait plus, la patronne. Elle crevait silencieusement de peur, en attendant le secours d'En Haut.

    Il ne se fit pas longtemps attendre. On apprit tout à coup que les Versaillais venaient d'entrer dans Paris !

    Délivrance ! Mais une guigne vraiment noire s'acharnait sur la pauvre créature.

    Il arriva qu'une barricade fut dressée au bout de la rue. C'était le moment ou jamais de fermer la porte à triple tour et de faire comme si on était des mortes. Papa Ferdinand fut complètement oublié.

    La barricade était prise à deux heures de l'après-midi et les fédérés en fuite abandonnaient le quartier.

    Bientôt, il ne resta plus qu'un seul être, un mince vieillard dont les pas sonnaient dans le grand silence.

    Impossible de ne pas le reconnaître. C'était le gâteux sorti le matin par curiosité et qui, bêtement, fuyait comme un criminel devant les pantalons rouges.

    Ceux-ci, pleins de défiance, ne le suivaient pas encore, hésitant à tirer sur un homme d'un si grand âge.

    Ils accoururent en le voyant s'arrêter à la porte du grand 12.

    Avance à l'ordre et fais voir tes pattes !

    Le vieillard, pantelant d'effroi, se précipita sur la sonnette et se mit à carillonner.

    Titine, ma Titine, c'est moi ! Ouvre à ton vieux père.

    La fenêtre close du mauvais lieu s'ouvrit alors spontanément et Mme Alexandre, ivre de joie, désignant son père aux soldats, leur cria :

    Mais fusillez-le donc, tonnerre de Dieu ! Il était tout à l'heure avec les autres. C'est un sale communard, c'est un pétroleur qui a essayé de foutre le feu au quartier.

    On n'en demandait pas davantage en ces gracieux jours et papa Ferdinand, criblé de balles, tomba sur le seuil...

    Aujourd'hui, Mme Alexandre est retirée des affaires et n'habite plus le quartier de la Bourse dont elle fut, si longtemps, la gloire. Elle a trente mille francs de rentes, pèse quatre cents kilos et lit avec émotion les romans de Paul Bourget*.

     

     

    *Léon Bloy l’avait surnommé « l’eunuque des dames » et le méprisait cordialement (« Heureux garçon, tu fus reçu dans d’aristocratiques salons que tes ancêtres auraient pu frotter »)

    02012011(024).jpg